Découvrez l'univers pastel de Rosalba Carriera, aux portraits allégoriques ambivalents.
Le premier pastel intitulé La Parque Clotho a été réalisé entre 1730 et 1740 par Rosalba Carriera, et a été acquis par la galerie d’art de Dresden au cours du XVIIIe siècle, au sein d’un groupe de trois tableaux représentant les trois Parques, par l’électeur Friedrich August II de Saxe.
Rosalba Carriera a décidé ici de dépeindre Clotho sous les traits d’une jeune fille, éblouissante de jeunesse et de fraîcheur. Le pastel confère ici une certaine douceur à son visage, une délicatesse certaine à ses traits à travers un savant jeu de lumière et la modulation de nuances claires. La main potelée rappelant l’enfance, la large gorge renvoyant à la maternité, tout semble converger vers la glorification d’une beauté pérenne auréolée de lumière.
Toutefois, ce portrait semble particulièrement pernicieux : trompant le spectateur, il figure toute l’ambivalence du Destin, entre jeunesse éternelle et mort glaciale. L’artiste présente ainsi la Parque à contre courant des descriptions homériques : généralement associées à des monstres hideux et difformes, personnifiant la fatalité, une mort inéluctable, les trois Parques sont donc souvent représentées dans la mythologie grecque sous les traits de vieilles femmes sévères qui se partagent un œil, une dent et une oreille.
Ainsi, si les roses dans les cheveux de Clotho rappellent la fraîcheur de son teint, elles symbolisent également la vanité d’une vie qui se fane à mesure que le temps s’écoule. Si les boucles d’oreilles encadrant son visage participent à sa coquetterie, elles représentent des coquillages, qui symbolisent la fragilité de l’homme, qui peut se briser à chaque instant. L’étoffe qui drape Clotho participe encore de cette représentation de la mort : le bleu symbolise en effet l’immortalité dont est dotée la Parque, à l’inverse de l’homme, simple mortel. Les yeux, de couleur sombre et les couleurs froides en arrière plan paraissent également annoncer le destin funeste de l’homme. Enfin, le fil que tisse Clotho, aussi mince que ténu, symbolise la vulnérabilité de l’homme en proie aux affres du temps, et le caractère éphémère de sa vie qui repose entre les seules mains du Destin, personnifié par les trois sœurs. Il semble alors déchirer le pastel tout comme les Parques ont le pouvoir d’anéantir la vie des hommes.
Ainsi, la douceur du pastel aux teintes claires et tendres, contraste vivement avec la funeste représentation de la fragilité de l’homme que la mort peut emporter à tout instant.
Le pastel ci-contre, intitulé Allégorie de la Poésie, a été réalisé par l’artiste vénitienne Maria Molin d’après un tableau de Rosalba Carriera. Cette oeuvre est donc la copie d’un original perdu, exposé comme pendant de l’Allégorie de la Musique dans la galerie de peinture à Manheim en Allemagne depuis 1780. Il représente une jeune femme éclairée par l’inspiration divine, comme le suggère l’auréole représentée par le halo clair qui se forme autour de sa tête. Symbolisant le lien entre l’homme et le divin, elle parait insuffler au poète son énergie créatrice : muse rêveuse, elle inscrit de sa plume ce que l’intuition lui souffle, pour ensuite transmettre son inspiration aux artistes qui l’invoquent.
Elle incarnerait donc les traits d’une des neuf muses, filles de Zeus et de Mnémosine, et plus précisément Érato, muse de la poésie lyrique et amoureuse. Ainsi, l’étoffe rose qui la drape, par ses teintes tendres et claires mises en valeur par le travail du pastel, rappelle la douceur d’une poésie amoureuse. De même, le tissu d’une blancheur éclatante qui la revêt met encore en lumière la pureté d’une poésie à la gloire du fin’amor. La délicatesse de son visage que la rondeur du pastel souligne, tout comme le dénuement de son sein découvert sont autant d’apanages de la poésie amoureuse.
Toutefois, si ce portrait semble tout entier tourné vers la représentation d’une poésie lyrique centrée sur l’intériorité des individus, quelques indices semblent renvoyer à une poésie tournée vers l’ouverture au monde : rêveuse, ses yeux semblent pourtant fixer un point au-delà du spectateur, regardant le monde autrement, contemplant ce que l’homme ne voit pas. Les lauriers qui couronnent délicatement son front relevé consacrent quant à eux la gloire, la victoire et la distinction de cette muse poétesse. Généralement attribués aux empereurs suite à des victoires militaires, ils pourraient ici rappeler Calliope, muse de la poésie épique et des odes antiques, qui fait le récit en vers des exploits historiques ou légendaires de héros défendant leur patrie.
Victoire Guedj
Comments