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Retour sur l'exposition Georges de la Tour au musée Jacquemart André

  • Photo du rédacteur: Victoire
    Victoire
  • 18 sept.
  • 4 min de lecture

Le musée Jacquemart-André propose depuis le 11 septembre une exposition magistrale sur Georges de la Tour dans un cadre d’exception. Le parcours d’exposition retrace de façon didactique les différentes inflexions de l’art de ce peintre français aux accents caravagesques. Il faut saluer le travail de la commissaire d’exposition avec des cartels d’une rare qualité et d’une grande sensibilité.



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Une première dimension de son art ressort dès les premiers tableaux : son goût pour la représentation du peuple dans toute son humilité. Il sublime la condition précaire, en s’attachant à dépeindre des vielleurs, des mendiants, des enfants dans toute leur modestie. Il a certainement eu connaissance des bodegones espagnols, ces tableaux où apparaissent des marchands de fruits et légumes dans toute leur indigence. Notons son Vielleur au chien qui représente en pied, dans un format particulièrement imposant, un simple mendiant élevé à une condition plus digne. Les teintes d’ocre et de gris renforcent la sobriété du tableau, tandis que l’attention portée aux traits de son visage, à la vétusté de ses habits, insiste sur sa basse condition. Ainsi, ses portraits, aussi précis et véristes soient-ils, ne tombent jamais dans le grotesque ou le ridicule.

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En cela il se détache des caravagesques d’Utrecht tels que Ter Brugghen pour rejoindre par ses accents mystiques les frères Le Nain et la peinture originale du Caravage : les personnages contemporains ne sont qu’un tremplin vers une méditation religieuse sur les textes sacrés, ou simplement mystique sur la grandeur intérieur de l’homme. Par exemple, sa Femme à la puce part d’un sujet populaire, trivial par son rapport au corps et à l’hygiène… mais en représentant ainsi une scène intime, éclairée à la seule lueur de la bougie, il s’en dégage une impression mystique .




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En effet - et c’est là la deuxième dimension de l’œuvre de De la Tour - l’artiste s’attache à peindre avant tout l’intériorité. Ce sont les larmes de saint Pierre qui retiennent son attention, la faiblesse qui s’empare des corps. Les cadrages serrés sur le visage des individus qu’il représente rendent avec d’autant plus de force leurs émotions.

Mais de la Tour reste l’artiste de la pudeur : il ne peint pas les exclamations, les effarements, les gestes grandiloquents mais bien plutôt, les soucis contenus et la triste méditation sur la condition humaine. Ce ne sont pas les éclats de voix, les cris désespérés qui retiennent son attention, mais bien plutôt la douce manifestation d’une mélancolique tristesse, le moment où le corps cède devant l’émotion qui s’en empare. Remarquez toute l’attention portée à la bouche saisie d’effroi, au regard plein de surprise, à la larme qui dégouline de la joue de Saint Pierre dans Saint Pierre saisi d’étonnement. C’est la manifestation incarnée de l’émotion intérieure qui semble ici intéresser de La Tour.

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C’est donc l’artiste des ombres et de l’obscurité. Ses personnages évoluent dans les ténèbres de la nuit, de la vie, de l’indigence…. Par un savant jeu d’ombres et de contrastes, le peintre souligne leurs traits fatigués et meurtris dans de saisissants clair obscurs. Ainsi, les rides du Saint Jérôme pénitent, son corps flasque, ses membres émaciés apparaissent au spectateur dans un dolorisme qui n’est pas sans rappeler l’art espagnol d’un Ribera.





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Mais cet artiste des ténèbres est avant tout peintre de la lumière. De fait, c’est dans ces moments sombres que ressort avec d’autant plus de vigueur cette étincelle de vie, cette lumière qui éclaire l’humanité et la guide dans la nuit. C’est là toute la beauté des lumières artificielles - bougies, lanternes, torches - qui illuminent ses tableaux et remplissent de dynamisme les figures qui le composent. Plus encore, la source de lumière est souvent cachée, et ne transparaît que par son éclat sur les visages, les membres, les corps des individus. Dans Saint Jérôme lisant de l’atelier de Georges de la Tour, la lettre devenue transludice est traversée, et comme remplie d'une lumière divine.

Car ce qui intéresse le peintre, c’est moins la source lumineuse, que sa réfraction sur les objets du quotidien et les corps qui peuplent la pièce : notez les variations lumineuses sur les surfaces accidentées, la façon dont elle surgit soudainement sur les mains, les visages de ses personnages.


Enfin, par cet attachement au contraste plutôt qu’au dessin, Georges de la Tour se distingue par son art résolument synthétique : il va à l’essentiel. Sa peinture souligne la monumentalité des corps qui se déparent de tout accessoire, de tout ornement. Ils semblent à l’étroit dans le tableau qui les contient, et semblent sur le point de franchir la limite du réel pour nous rejoindre.


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De cet attachement à la synthèse découle un sens du symbole particulièrement poussé : les crânes, bougies, écrits bibliques et autres apanages des vanités peuplent les tableaux du grand maître pour leur donner une profondeur insoupçonnée.

Dans Saint Jacques majeur, l'apôtre est tout paré des coquilles qui le symbolisent, tandis que la lance que tient Saint Thomas dans le tableau éponyme paraît démesurée. On assiste à la surreprésentation de l’objet hypertrophié.


Entre naturalisme saisissant et synthétisme, de la peinture en clair-obscur de Georges de la Tour se dégage une atmosphère résolument mystique :  il pousse à la méditation sur la condition humaine, invite à l’introspection. C’est une invitation à la méditation, à la prière et à la simplicité tranquille.


Victoire Gheleyns

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