« Les taches de couleur doivent être fixées comme une constellation céleste qui se font des clins d'œil. Comme les accords musicaux s'accordent dans une harmonie coloriste parfaite. » Harriet Backer
Harriet Backer (1845-1932) est une artiste norvégienne du XIXème siècle très célèbre dans son pays mais jusqu’à présent peu connue à l’extérieur de ses frontières. Voici pourtant une artiste remarquable par son talent et son engagement, figure incontournable de l’art du XIXe à laquelle le Nasjonal Museet for Kunst d’Oslo avait consacré une très belle rétrospective en 2023, relayée par une nouvelle exposition également passionnante au Musée d’Orsay.
Harriet Backer est une peintre de talent mais aussi une personne engagée. Ainsi, comme il existait peu de possibilité de se former artistiquement en Norvège à son époque, après s’être elle-même formée à l’étranger, elle ouvre sa propre école de peinture qui connaîtra un grand succès. Elle va alors former toute une génération de peintres. Elle joue aussi un rôle majeur dans l’histoire de l’art de son pays en tant que membre du conseil d’administration, et membre du jury d'acquisition de la Galerie nationale d’Oslo, ce qui lui permet de participer au choix des peintures entrant dans les collections du musée.
Soulignons toutefois que l’engagement d’Harriet Backer est toujours dissocié de son art. Femme très active pour promouvoir l’art, elle considère dans le même temps que l’art ne doit pas être politique. Harriet Backer est une femme de tempérament qui refuse même de se marier pour se dédier totalement à son art.
A une époque où il est difficile pour les femmes de suivre une formation artistique, la jeune Harriet Backer quitte la Norvège pour voyager à Munich puis Paris. Elle copie d’abord les grands maîtres en arpentant la Alte Pinakothek ou le Louvre.
Elle s’installe finalement à Paris, foyer artistique incontournable pour les jeunes artistes de l’époque. Elle séjourne aussi fréquemment en Bretagne où elle retrouve de nombreux artistes internationaux.
Elève de Gérôme et de Bonnat, c’est finalement la découverte de l’oeuvre de Monet qui jouera un rôle majeur dans l’évolution du travail de l’artiste norvégienne. Désormais elle se concentre sur la couleur, les effets de lumière et d’atmosphère.
Si Monet est peintre de plein air, on dit d’Harriet Backer qu’elle fait « du plein air en intérieur ». En effet, la plus grande partie de ses tableaux sont des scènes d’intérieur. Mais ce ne sont pas de simples scènes de genre : la facture du tableau, les jeux de couleurs et de lumière créent une atmosphère très particulière. Ainsi, dans Le soir, intérieur, une femme lit une lettre, sujet qui nous fait penser immédiatement à Vermeer, mais l’agencement des couleurs, la lumière et le cadrage nous renvoient à l’impressionnisme.
L’artiste norvégienne est donc relativement inclassable puisque, par sa facture elle s’apparente à l’impressionnisme - touche libre et vibrante, couleurs vives et jeu des complémentaires, effets de lumière -, mais ses sujets sont proches du courant réaliste, dans le sillage de l’école du Nord ou de certains artistes français du XVIIIe comme Chardin qu’elle admire.
Les sujets de prédilection d’Harriet Backer sont sa famille et ses amis qu’elle aime représenter dans leurs occupations favorites. Ainsi elle peint ses amies peintres et compatriotes, notamment Asta Nørregaard dans Intérieur bleu ou Kitty Kielland L’artiste Kitty Kielland , l’amie avec qui elle vivait à Paris et partageait son studio.
Issue d’une famille où la musique joue un rôle prépondérant, sa soeur Agathe est une musicienne renommée, Harriet Backer lie souvent musique et peinture dans son art. Elle peint de nombreuses scènes de musique. Elle établit aussi des correspondances très subtiles entre la musique et la peinture grâce à la touche libre et vibrante de son pinceau et par une harmonie de couleurs très réfléchie. Le tableau semble littéralement musical.
L’art d’Harriet Backer nous présente aussi la Norvège de son époque. Elle peint de nombreuses scènes rurales à la fois réalistes, intimistes et sensibles : des paysans et paysannes au travail, comme le très bucolique Blanchiment du linge, des fermes, Ferme Jonsaberget ou bien Automne, Stralsjohaugen.
Mais l’artiste est aussi connue pour ses magnifiques intérieurs d’églises norvégiennes. A la fois chrétienne pratiquante et passionnée par l’architecture, elle réalise de magnifiques oeuvres comme Intérieur de l’église d’Uvdal Stave. Elle écrivait d'ailleurs à propos de cette église en 1904 : « cette église est un thème qui m'est si proche et si cher, et toutes les formes et les couleurs norvégiennes, si différentes des églises d'autres pays et de tout ce que j'ai vu auparavant ». Pour autant, ce n’est pas toujours le caractère réaliste et l’architecture elle-même qui comptent dans ses tableaux, mais plutôt le cadrage et l’effet de lumière qui priment. Ainsi, la plupart de ces tableaux d’églises offrent un point de vue particulier et décalé, très original à chaque fois, qui surprend et éblouit le spectateur.
Enfin, son travail sur la couleur aboutira parfois à une forme d’abstraction que l’on retrouve notamment dans son travail sur les fenêtres. Dans Vue de mon balcon, les formes se dissolvent pour laisser une place prépondérante à la couleur.
Dans Mon Studio, la lumière émanant de la fenêtre fait également fondre les contours du personnage et des objets qui l’entourent.
Les couleurs et les variations de lumière prennent alors le pas sur le sujet représenté et Harriet Backer tend alors vers l’art moderne et l’abstraction.
Isabelle Gheleyns-Guedj
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